Julia R’s Substack
El Dialogue
Episode 2: Naomi Vogt
0:00
-58:24

Episode 2: Naomi Vogt

De l’importance du Rituel

Ceci est le second article de la série El Dialogue dans laquelle je présente et interview un.e contemporain.e dont j’admire le travail et dont la quête rentre en résonance avec les questions que j’explore dans cette newsletter.


Ami.e.s du soir, Bonsoir,

Ces dernières semaines, nous avons tour à tour célébré le solstice d’hiver, la fête de Hanukkah, Noël, la nouvelle lune en capricorne, la fin d’année 2024 et le début de 2025.

Avouez que cela fait pas mal de passages à ritualiser. Pendant longtemps, les rituels ont été une façon de se connecter aux cycles de la terre et de la nature, une manière de marquer le temps, marquer les récoltes, les changements de saisons, les naissances, les morts … Les rituels étaient comme un calendrier, avant que notre civilisation n’entre dans l’ère du Temps.

Dans Pourquoi la démocratie a besoin de la religion, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa illustre très clairement comment notre société est traversée par une grave crise: nous dépensons toujours plus d’énergie pour maintenir l’état des choses existant … ce qui découle dans un rapport au monde assez pervers: il nous faut toujours plus. Cela crée un déséquilibre énergétique non seulement pour le climat mais surtout pour notre psychisme : les deux s’épuisent. Hartmut Rosa a été le premier à mettre des mots sur ce que je ressens profondément depuis des années : l’issue de cette crise peut être partiellement trouvée dans des traditions, des pratiques et des rituels.

De mon expérience à naviguer parmi les différentes institutions contemporaines (monde du travail, de la religion, de la famille), je constate qu’avec l’accélération technologique et une intégration économique toujours plus poussée, ces institutions peinent à se renouveler. Résultat ? Tapis de yoga, méditation, pilates, thérapies, EMDR, séances de respiration … Chacun.e tente aujourd’hui de réinventer son propre rituel pour combler un vide existentiel. Ce vide, nourri par le scroll infini et le désenchantement généralisé, génère un mal-être sociétal aux conséquences palpables, notamment sur la santé mentale de nos adolescents (mais aussi de nos enseignant.e.s, de nos soignant.e.s et de toute profession fragilisée par ce système déshumanisant). Sur le plan politique, ce malaise favorise directement l'ascension de figures d'extrême droite dans le monde occidental.

Il nous faut trouver des solutions, et rapidement.

David Katzenstein, Grand Central Terminal, 2014

Quant aux religions monothéistes, leur plus grand défi est de réinsuffler du sens et de la pertinence dans la ritualisation. Devenus de simples actes répétés, des automatismes mimétiques désincarnés, les rituels peuvent se transformer en véritables parodies. Et ainsi, abîment profondément la tradition qu’ils prétendent représenter, une tradition en quelque sorte morte-vivante, sclérosée. C’est tout le propos de cette Newsletter, comment dépoussiérer un texte vieux de plus de deux mille ans.

Pour cette conversation, j’ai eu le grand plaisir de recevoir Naomi Vogt, professeure associée en histoire de l’art à l’université de Warwick. Ses recherches se concentrent sur l’image en mouvement (cinéma, histoire du cinéma et anthropologie) et l’histoire des rituels à travers l’art contemporain.

Naomi Vogt, Octobre 2024, Carouge

On s’est demandé ensemble : qu’est-ce que l’art peut encore nous dire face à cette marche acharnée du monde ? Et puis, tout d’abord, qu’est-ce qu’un rituel ? Comment le définir et en tracer les contours ? Est-ce une manière de refaire et recréer son monde ? Ou bien une façon de préserver une empreinte du monde d’avant ? Un rituel appartient-il au domaine du changement ou à celui de la pérennité ? Sa fonction est-elle sociale, naturelle ou symbolique ? Faut-il y croire pour le pratiquer ?

Arthur Jafa, Monster, 1988, Source: MoMa

Avec la surabondance des écrans dans nos vies, peut-on encore dire que nous faisons l’expérience de la réalité, ou ne faisons-nous que la subir de manière indirecte ? Qu’est-ce qui distingue l’acte de création artistique d’un individu qui filmerait son quotidien ?

À travers le travail de l’artiste Pierre Huyghe, on s’est aussi demandé si les rituels pouvaient être créés de toute pièce par l’homme, ou s’ils doivent nécessairement être reçus en héritage. On s’est demandé si tous les rites devaient forcément faire sens, ou si, à un moment, il fallait accepter de lâcher prise sur la rationalité. Le rite peut être est-il un moment de soulagement, où l’on renonce à une part de sa liberté de choix, d’analyse, de compréhension, d’individuation, pour s’en remettre à un cadre prédéfini, conçu pour apporter un certain bienfait psychologique et psychique.

Pierre Huyghe, Streamside Day, 2003 - Source: Marian Goodman Gallery

Et enfin, la question essentielle demeure : où commence et où s’arrête la fiction ? Le rituel, au fond, est-il une réalité ou juste une parenthèse, une mise en scène où chacun.e jouerait un rôle prédéfini ? À la synagogue comme à l’opéra ou au musée, il existe des codes, des rôles que chacun.e endosse, formant ainsi une chorégraphie collective où chaque acteur ou actrice suit un script implicite. Ce script pourrait être une manière de reconnecter des individus devenus aliénés, de recréer une solidarité oubliée, un moment où toutes et tous regardent dans la même direction pour envisager un avenir meilleur.

Et vous, si vous deviez réinventer un rituel dans votre vie, lequel réinventeriez-vous ?

Bonne écoute.

Amour & Lumière

Julia

Merci pour votre lecture 🙏

Partager Julia R’s Substack

N’hésitez pas à partager vos impressions et ressentis par email julia.cincinatis@gmail.com ou de partager cette lettre avec des amie.s susceptibles d’apprécier la démarche.

Discussion à propos de cet épisode