Toute ressemblance avec des personnes ou situations existantes est purement fortuite et involontaire.
L'Éternelle dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui de libérer le peuple. S’il refuse, je consumerai son territoire par le feu. »
Pharaon refusa.
Alors, dans un grondement de tonnerre, l'Égypte s'embrasa. Des milliers d’hectares brulèrent sous les yeux des égyptiens - passifs et ébahis - des sequoias et des pins colosses centenaires, des animaux sauvages réfugiés dans des forêts dont les troncs se brisaient les uns après les autres, des bâtisses et des demeures construites brique par brique, réduites en cendres, à jamais. Une fumée épaisse envahit tout le Royaume d’Égypte, s’insinuant jusque dans les poumons des nouveau-nés; rien de semblable n’avait jamais été vu.
Mais Pharaon était un horrible bonhomme qui ne se souciait guerre ni des arbres, ni de l’écosystème, ni de l’oxygène que nous respirons. Tout ce qui l’intéressait c’était son pouvoir et son profit. Son cœur était dur comme la pierre.
L'Éternelle dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui de libérer le peuple. S’il refuse, je transformerai son territoire en un royaume de sucre. »
Pharaon refusa.
Alors, le sucre se répandit partout à une vitesse incroyable. Omniprésent, on le retrouvait dans tous les ingrédients et les liquides que consommaient les égyptiens y compris les produits laitiers, les fruits, et même dans les viandes, transformant chaque bouchée en un mélange écoeurant. Le café, source première de joie matinale, en devint imbuvable; au lieu d’être amer et réconfortant, il laissait désormais sur la langue une espèce de pâte collante. Les égyptiens se mirent à gonfler, gonfler, gonfler. Bientôt ils ne rentrèrent dans plus aucun de leurs vêtements, les felouques (qui pouvaient normalement transporter jusqu’à dix familles) étaient complètement surchargées avec deux adultes, et les bains publics devinrent absolument impraticables. Le sucre, inhibé, rongeait les foies et dévorait les os si bien que le quotidien des égyptiens se transforma peu à peu en une suite de douleurs aux articulations, d’accidents cardio-vasculaires et de pertes de mémoire.
Mais Pharaon était un horrible bonhomme qui se moquait de la nutrition, de l’hygiène et du bien-être de son peuple. Tout ce qui l’intéressait, c’était son pouvoir et son profit. Son cœur était dur comme la pierre.
L'Éternelle dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui de libérer le peuple. S’il refuse, j’enverrai des notifications aussi nombreuses que les étoiles.»
Pharaon refusa.
Alors, s’abattit sur le pays, des milliards de bruits incessants martelant, à toute heure du jour et de la nuit, tous les écrans du monde, envahissant chaque recoin d’existence. Messages, whatsapp, emails, notifications, promotions, alarmes, rappels... il n’y eut plus de répit. Le silence, jadis un refuge, semblait à jamais disparu. Aucun homme et aucune femme ne put fermer l’œil de la nuit tant ces bruits ne cessaient de resonner jusque dans leurs rêves. Zombies, épuisés, ombres d’eux-mêmes, on pouvait les observer marcher dans les rues du royaume ne sachant ni qui ils étaient, ni où ils allaient.
Mais Pharaon était un horrible bonhomme qui ne se souciait guerre ni de la nécessité du silence, ni du sommeil de ses riverains ni du sens de leur marche. Tout ce qui l’intéressait, c’était son pouvoir et son profit. Son cœur était dur comme la pierre.
L'Éternelle dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui de libérer le peuple. S’il refuse, j’enverrai une marée noire sur ses eaux. »
Pharaon refusa.
Alors, d’un souffle qui avait l’odeur d’une mauvaise haleine au réveil, les mers se recouvrirent d’une matière sombre et visqueuse, noire comme la nuit et huileuse comme le fuel qui faisait tourner les moteurs des felouques. Cette nappe recouvrit les fonds marins si bien que la terre ne plus put respirer. Les effets ne tardèrent pas à monter vers les cieux : une brume brunâtre s’installa, voilant la lumière et saturant l’air. Les oiseaux, prisonniers de cette étreinte funeste, tombèrent du ciel ; les poissons, vinrent mourir sur les rivages.
Mais Pharaon était un horrible bonhomme qui ne se souciait ni des oiseaux, ni des poissons, ni de la propreté des fonds marins. Tout ce qui l’intéressait, c’était son pouvoir et son profit. Son cœur était dur comme la pierre.
L'Éternelle dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui de libérer le peuple. S’il refuse, j’enverrai une épidémie de sourires forcés. »
Pharaon refusa.
Alors, dans un énorme éclat de rire cynique et maléfique, les visages se figèrent. Toustes furent contraints de sourire, même face aux hectares en feu, même face au sucre dévorateur, même face aux notifications aliénantes – impossible de se débarrasser de ce rictus, qui crispait les mâchoires et paralysait toute tentative d’expression de malaise ou de déprime. Les psychologues durent fermer boutique et les seuls-en-scène et comédies en tout genre se démultiplièrent un peu partout dans le pays. Tout allait mal mais personne n’avait le droit de le montrer, une torture psychologique infame.
Pharaon était vraiment un sale type qui ne se souciait guerre ni des émotions, ni de la tristesse, ni de la sincérité. Tout ce qui l’intéressait, c’était son pouvoir et son profit. Son cœur était dur comme la pierre.
L'Éternelle dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui de libérer le peuple. S’il refuse, je rendrai tout lien humain, effroyablement automatique »
Pharaon refusa.
Le lendemain matin, un homme qui allait chercher ses galettes d'épeautre chez son artisan pâtissier, se retrouva face à un vendeur en vie, mais mort-vivant. Ce dernier, sans la moindre chaleur, lui répondit de manière mécanique : « Pour la section café, appuyez sur un 1. Pour la section pain, appuyez sur 2. Pour la section viennoiserie, appuyez sur 3 ». Lui qui l’accueillait toujours avec un sympathique : « Salut l’ami, comme d’hab’ ? Caputch’ et croissant ? » s’était métamorphosé en machine ambulante, en répondeur sur pattes. Si l’homme avait le malheur d’avoir un moment d’inattention, il était ramené au menu principal et tout le temps qu’il avait pris pour suivre les consignes calmement était dès lors ignoré, perdu. Toute conversation fut remplacée par des réponses automatiques qui n’aidaient en rien et qui au lieu de ça, créaient des boucles infinies de chiffres: 12103231413.
Aucun espace de la société n’en fut épargné, pas même le lit conjugal. Dans l’obscurité d’une chambre éclairée à la bougie, on pouvait entendre : « Pour un baiser, appuyez sur 1. Pour une caresse, appuyez sur 2. Pour une pénétration, appuyez sur 3. » Plus de spontanéité, plus de complicité, plus de rire, plus de nuance, plus d’érotisme … Bientôt, les hommes et les femmes arrêtèrent tout simplement de se parler. Toute rencontre, Tout élan, toute humanité cessa définitivement.
Pharaon qui avait depuis longtemps oublié le sens du mot “humanité”, ne se souciait ni de relation conjugale, ni de lien, ni de désir. Mais pour la première fois, il commençait à reconsidérer sa décision. Ses conseillers et ses magiciens ne suivaient plus ses ordres, incapables de comprendre autre chose que le menu principal. Et tout ce qui l’intéressait, c’était son pouvoir et son profit. Alors, son cœur qui était dur comme la pierre, prit son premier coup.
L'Éternelle dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui de libérer le peuple. S’il refuse, j’enverrai des ondes de mauvaise musique. »
Pharaon refusa.
Alors, tout ce qui avait été légèreté et harmonie bascula dans la violence. Une musique homogène, saturée de basses agressives et de rythmes répétitifs, boumboumait partout … on en vint même à regretter le tintement des notifications. Fini les chants sacrés, fini les flûtes, les harpes, les sistres, les lutes. Fini les fréquences qui guérissent l’âme. Les habitants furent frappés de migraines féroces qui les empêchèrent de supporter la lumière du jour, ils s’enfouirent comme des rats en creusant d’interminables tunnels sous-terrains, le plus loin possible de ce vacarme assourdissant. Les anciens, en larmes, se bouchaient les oreilles et murmuraient des prières – seules traces d’une mémoire immuable. Les jeunes, eux, tentèrent d’y trouver une échappatoire en dansant, mais rapidement leurs mouvements devinrent spasmes, possédés par un esprit qui les rendirent fou. Certains compositeurs et musiciennes célèbres de l’époque préférèrent se donner la mort.
Sans musique, pensaient-ils, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue.
Pharaon qui était vraiment un sale type, ne se souciait ni d’harmonie, ni d’art, ni de beauté mais cette fois-ci ses tempes commençaient à battre au rythme du fléau. On l’entendit crier dans tout le palais : « Assez ! Assez ! Arrêtez-moi ce bruit. Qu’ils dégagent, ces fils de chien ! Amenez moi Moïse! »
Mais Pharaon ne tint pas parole.
L'Éternelle dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui de libérer le peuple. S’il refuse, je les frapperai d’eczéma. »
Pharaon refusa.
Le lendemain matin, les Égyptiens se réveillèrent en se grattant frénétiquement le corps, ils étaient couverts de plaques rouges et s’agitaient, cherchant désespérément un soulagement. Les démangeaisons atteignaient des zones d’une intimité cruelle : les creux des genoux, les dessous de bras, les joues, la raie des fesses et les plantes des pieds. La douleur était insupportable. Les places de marchés devinrent des lieux de lamentations et les temples, des scènes de supplication; il était courant de voir une femme s’arrêter subitement en rue frottant son bras contre le mur pour s’arracher la peau. Rien n’y faisait: les remèdes traditionnels et plantes alternatives échouaient lamentablement face à la profondeur des inflammations.
Plus personne en Égypte et au-delà ne pouvait ignorer que le royaume avait été entièrement ravagé par les plaies. Pas même Pharaon. Et ce n’était bon, ni pour son pouvoir, ni pour son profit. Le visage marqué par des griffures et les ongles s’enfonçant dans ses paumes, il fit appeler Moïse, enfin prêt à laisser partir le peuple.
… Mais Pharaon s’accrocha à sa fierté et son orgueil, et ne tint pas parole.
L'Éternelle dit à Moïse : « Va trouver Pharaon et dis-lui de libérer le peuple. S’il refuse, je le punirai une dernière fois, en lui faisant prendre conscience de sa propre finitude. »
Et cette fois-ci, ce fut la fin. La fin des plaies qui avaient détruit son royaume, la fin des menaces envoyées par l’Éternelle, la fin d’une négociation absurde entre Moïse et Pharaon, jalonnée de compromis refusés. Ce fut aussi la fin de tout ce qui avait uni Pharaon et Moïse, eux qui avaient grandi comme des frères et qui étaient maintenant deux étrangers liés par un conflit inexorable.
Le lendemain, Pharaon se réveilla différemment de tous les autres jours de sa vie. À peine avait-il entrouvert une paupière qu’une pensée viscérale le traversa : je vais bientôt mourir. Chaque souffle lui parut soudain compté, chaque battement de cœur retentit dans sa poitrine comme le tic-tac d’une horloge qui pourrait s’arrêter à tout moment. C’est la peur qui finalement l’envahit: qu’avait-il laissé à la génération d’après ? Y’aurait-il un après ? Qu’auraient pensé ses pères ? Ses mères ? Avait-il été à la hauteur ? Le faste des banquets, les démonstrations de magie de ses courtisans, les parades à son effigie – plus rien ne lui importait. Tant de fantaisie pour si peu de vérité. Ô souvenirs ! printemps ! aurore ! Doux rayon triste et réchauffant ! Il fut pris, pour la première et dernière fois de sa vie, d’une envie folle d’aimer sa femme, de jouer au lego avec ses enfants et de passer du temps au coin du feu à raconter des blagues avec ses amis d’enfance.
Pharaon ne fut plus qu’un homme face à une montre. Les plaies avaient fonctionné.
Alors il convoqua Moïse, la voix étranglée dans une détresse qu’il ne pouvait plus cacher. « Partez » dit-il, les yeux baissés, « prends ton peuple et partez. Faites vite. »
Il n’y avait plus de défi dans son ton, plus de colère, plus d’arrogance. Juste l’écho d’un homme qui avait enfin compris ce qu’il avait refusé d’entendre jusqu’à présent :
Face au destin, nul n’est surpuissant.
La route tourne.
Aucun despote, aucun tyran, aucun dictateur, aucun homme minable jouant avec l’avenir d’un peuple, ne s’en sortira vainqueur.
lls deviendront des récits, des histoires qui peupleront nos newsletters et que nous prendrons plaisir à raconter à nos petits-enfants.
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Chavoua Tov,
Julia