Nommer, c'est faire exister
En lisant la parasha Chemot la semaine dernière, j’ai repensé à une conférence à laquelle j’avais assisté durant le festival Limmud. La Conférence était donnée par Alma Reisel – une thérapeute familiale systémicienne qui travaille dans le social – et intitulée : What can Response-Based Practice teach the Jewish community about working with violence. Par des exemples concrets de récits de violence avec certain.e.s patient.e.s, Alma Reisel a exposé la manière dont la violence est le plus souvent décrite selon 4 grandes catégories :
Dissimuler la violence : le fameux … ‘il a dérapé’
Omettre la responsabilité : ‘elle avait une liaison’, ‘c’était un drogué’, ‘il était dans une période de vie fragile’
Dissimuler la résistance : ‘pourquoi restait-elle ?’
Blâmer la victime : ‘de toute façon, elle se trouve toujours des connards’
Or, la façon dont on décrit une situation influence énormément les réponses qu’on va y apporter. Prenons un enfant en camp de vacances qui va vers le moniteur pour se plaindre de douleurs au ventre, dire « ses parents lui manquent et donc on va leur passer un petit coup de fil » est très différent de dire « il a l’appendicite et donc on l’emmène en urgence à l’hôpital ». Un autre exemple très actuel, dire « c’est un immense acteur qui rend fière la France » n’envoie pas le même signal que de dire « il est encore trè s difficile de porter plainte aujourd’hui, les femmes qui le font sont courageuses de surmonter cette peur et cette honte, un homme est visé pour une plainte de viol et d’agression sexuelle et sera jugé par la loi. » En d’autres termes:
« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. »
Albert Camus
Le concept de déterminisme linguistique soutient que le langage et ses structures façonnent la connaissance humaine et ses limites. Suivant cette logique, si une culture ne dispose pas d’un terme pour désigner une certaine émotion, il sera plus difficile de la reconnaître ou d’en faire l’expérience. Comment s’apprivoiser en anglais ?
Cependant, les mots ne sont pas la réalité elle-même. Par exemple, le mot “lumière” décrit une chose qui existe, mais la lumière elle-même est une réalité physique qui ne peut être décrite complètement par les mots. Utiles pour communiquer, les mots ne peuvent pas remplacer l’expérience directe de la réalité.[1]
La clef des songes, René Magritte, 1930
Or, dans la parasha Chemot, il est question de nommer Dieu. Rien que ça. Comment ai-je pu traiter de la Genèse tous ces derniers mois, sans parler du nom qu’on attribue à la force derrière la création ? Nommer Dieu, comme nommer toute chose, est déjà toute une affaire en soi.
Tuer le Père … et la Mère
Avant de commencer par le nom, ouvrons une petite parenthèse pronom. Of course. Dieu est désigné et traduit dans les textes bibliques au masculin singulier, un lui, un Il, un Seigneur, un mâle. Devons-nous pour autant en déduire que dans l'enseignement juif, Dieu est une force patriarcale, imprégné de caractéristiques et de valeurs masculines ? En théorie, ce « il », ne devrait en rien constituer une description anatomique. En effet, dans une vision transcendantale du divin, Dieu se positionne au-delà de tous les attributs, y compris ceux du sexe et du genre. Nous retiendrons tout de même l’excellente interprétation de Benoit Poelvoorde qui incarne un dieu cynique et colèrique dans le film génialement belge (et donc un peu fêlé) Le Tout nouveau Testatement (2015) de Jaco Van Dormael coécrit avec Thomas Gunzig.
Ou dans un autre style, plus à l’américaine un Morgan Freeman malicieux et extrêmement élégant dans Bruce Tout Puissant (2003).
Néanmoins, la littérature féministe a fait valoir depuis longtemps que nous avons besoin de nouvelles représentations pour exprimer notre expérience du monde et du Divin. Personnellement, je pense du bien de ceux et celles qui utilisent des mots féminins pour désigner Dieu, en s'adressant à cette présence en tant que mère ou en s'imaginant parler à une amie intime. Je vous invite à découvrir le travail phénoménal de Yael Kanarek avec Beit Toratah qui a passé plusieurs années à réécrire une Bible regenrée en inversant les pronoms et prénoms de tous les caractères et en centrant le récit autour de la lignée matriarcale; avec Beit Toratah nous lisons par exemple l’histoire de Moshah. C’est déconcertant au début – comme tout changement – mais ça vaut le détour, l’objectif de Beit Toratah étant de permettre à chaque lecteur et lectrice de développer une relation plus riche et plus intime avec Dieu.
Pour ma part, j’aurais plutôt envie de sortir de cette binarité très jungienne[2], en d’autres mots de cette relation Papa ou Maman. Erich Fromm écrit dans l’Art d’aimer : « Dans l’optique patriarcale, j’aime Dieu comme un père, je présume qu’il est juste et sévère, et en fin de compte qu’il fera de moi le fils de sa dilection, comme Dieu a choisi Abraham, comme Isaac a choisi Jacob, comme Dieu a un peuple élu. Dans l’optique matriarcale, j’aime Dieu comme une mère qui est tout en entière embrassement. J’ai foi en son amour, je sais que, même si je suis pauvre et impuissant, même si j’ai péché, elle continuera de m’aimer, elle ne préfèrera aucun autre de ses enfants à moi-même ; quoi qu’il advienne, elle me secouera, me sauvera, me pardonnera. »[3]
Ce Dieu qu’il soit père ou mère ressemble un peu à ce que le Rabbin Zalman appelait le modèle du « distributeur automatique »[4] : j'ai besoin de quelque chose, je le demande, peut-être que je sacrifie quelque chose, et ensuite Dieu me le donne. Si je n’obtiens pas ce que j’ai demandé, je m’énerve contre la machine, peut-être que je lui crie dessus, peut-être que je l’abandonne entièrement. En bref, j’ai l’âge émotionnel d’un gosse de 5 ans.
A travers les cultures et les siècles, Dieu fut tantôt Allah, Shiva, Brahma ou même Zeus. De nos jours, il est courant d’entendre parler du Divin, de l’Univers, du Créateur, de Gaia, Mother Nature, de la Force suprême et d’autres. Dans le Judaïsme, il y a aussi différentes nominations selon les circonstances : Yahve, le tétragramme YHWH, Élokim, Adonaï. Mais dans la parasha Chemot, un nouveau terme va apparaitre - pour la première et la seule fois à travers toute la Torah - qui renvoie à un signifié que l’on est incapable de définir.
Èhyè Asher Èhyè
Lorsque Dieu se révèle à Moïse dans le célèbre épisode du buisson ardent, Moïse panique. Qui suis-je pour aller chez Pharaon faire délivrer les hébreux ? Comment puis-je exiger ça de la part de Pharaon, moi un médiocre berger ? Qui va me croire ? Moïse objecte que les hébreux ne le prendront pas au sérieux si Dieu ne lui dit pas son nom. Et la demande en soi est légitime : il était courant pour les dieux égyptiens d’avoir des noms – petite pause dédicace sonore à mon frère et mes cousines – Râ, Mout, Nout, Ranoum, Ptah, Sobek, Sekhmet, Sokar, Selket, Anubis, Anoukis, Hemsout, Tefnout, Meshret, Nekbet … Bref, lorsqu’en Egypte on dit « dieu », on sait de qui on parle.
וַיֹּ֨אמֶר מֹשֶׁ֜ה אֶל־הָֽאֱלֹהִ֗ים הִנֵּ֨ה אָנֹכִ֣י בָא֮ אֶל־בְּנֵ֣י יִשְׂרָאֵל֒ וְאָמַרְתִּ֣י לָהֶ֔ם אֱלֹהֵ֥י אֲבוֹתֵיכֶ֖ם שְׁלָחַ֣נִי אֲלֵיכֶ֑ם וְאָֽמְרוּ־לִ֣י מַה־שְּׁמ֔וֹ מָ֥ה אֹמַ֖ר אֲלֵהֶֽם׃
וַיֹּ֤אמֶר אֱלֹהִים֙ אֶל־מֹשֶׁ֔ה אֶֽהְיֶ֖ה אֲשֶׁ֣ר אֶֽהְיֶ֑ה וַיֹּ֗אמֶר כֹּ֤ה תֹאמַר֙ לִבְנֵ֣י יִשְׂרָאֵ֔ל אֶֽהְיֶ֖ה שְׁלָחַ֥נִי אֲלֵיכֶֽם׃
« Bien ! dit Moïse. Je vais donc aller trouver les Israelites et leur dire : « Le Dieu de vos ancêtres m’envoie vers vous ». Mais ils me demanderont ton nom. Que leur répondrai-je ?
Dieu déclara à Moïse : « Je serai qui je serai. » Voici donc ce que tu diras aux Israelites : « ‘Je serai’ m’a envoyé vers vous ».
(L’Exode, 3 :13-14)
Ou comme le chante Gloria Gaynor …
Regarder vers le Futur
Les commentateurs passent un long moment à se demander pourquoi cette question. Comme si Moïse ne demandait pas le nom de Dieu, mais plutôt par quel attribut il devrait se faire appeler, ainsi cela définirait mieux sa mission. Il est ici question d’ontologie, de la nature immuable et intemporelle de l’existence de Dieu. Selon Sforno, la réponse de Dieu veut dire « moi qui reste toujours tel que Je suis ». [5] Le Keli Yaqar surenchérit : « Quant à moi, il me semble d’expliquer que le Nom אהיה - Je serai (Èhyè) est issu de « être », et souligne Son Éternité, Lui qui a été, est et sera. En d’autres termes, ceci est Mon Nom indique que « Je suis à jamais », c’est-à-dire que depuis toujours et à jamais, Mon Existence reste inchangée, et ceci est Mon souvenir de génération en génération. » [6]
Pour ma part, ce n’est pas comme ça que j’ai lu et compris ce passage.
Pour moi, la réponse de Dieu n’en est pas une. Qui es-tu ? Je suis qui je suis. In other words, fuck off Mosheyle. Cette réponse, en vrai ça veut dire « dis leurs que mon nom est d’être sans nom ». L’interdiction de représenter Dieu en image dans le Judaïsme, de prononcer son nom en vain, même de le prononcer tout court, vise le même objectif : libérer l’homme de l’idée que Dieu est un père, une mère, qu’il est une personne. Mieux je sais ce que Dieu n’est pas, plus profonde est la connaissance que j’en ai. Je ne suis pas ce que je tu pourrais penser que je suis.
De plus, la phrase est conjuguée au Futur : Èhyè Asher Èhyè se traduit par « Je serai ce que je serai ». Que sera sera, I will be whatever I will be dit le Dieu qui s’apprête à libérer un groupe minoritaire d’un tyran impérial. Je serai ce que je serai signifie que le peuple ne le connaitra pas à travers un nom mais à travers une action. Ici, le futur est déterminant : le peuple ne pourra le connaître que lorsqu’Il agira … va falloir faire confiance au chemin, à chaque étape du périple se rappeler ces trois mots : “Je serai ce que je serai”.
Pourquoi j’adore ce détail de conjugaison ? Car, selon moi, ici réside la différence primordiale entre la foi et la science, à l’heure où, selon Henri Atlan “la notion religieuse de Dieu est devenue depaséee par les connaissances scientifiques sur la nature des choses et leurs performances explicatives et pratiques”. Je pense à Nicolas qui me racontait un soir que le pic de démographie mondiale redescendra dans 200 ans. Peut-être. Mais qui fait encore confiance aux analystes de marché qui n’ont jamais su prédire ni la chute de Lehman Brothers en 2008 ni le Brexit ni l’élection de Trump ? La science cherchera toujours à expliquer un phénomène présent en faisant référence à un événement passé pourtant l’action humaine est toujours orientée vers l’avenir. Je fais mon yoga car je veux me sentir bien aujourd’hui. Je vais à la librairie pour préparer un salon. J’étudie mon permis théorique pour passer mon permis de conduire. La science ne peut pas expliquer l’avenir car quelque chose n’étant pas encore survenu ne peut pas faire office de cause.[7] Et c’est surement là, le plus grand reproche que j’aurais à faire à la psychanalyse ou la thérapie qui peuvent parfois rester bloquées dans le passé, sans donner les outils pour affronter le futur.
Èhyè Asher Èhyè, ce n'est pas un nom qui offre la sécurité facile d'une mère ou d’un père mais plutôt une invitation à coexister avec la grande incertitude de la vie. Egypte, מִּצְרָֽיִם mitzrayim vient de la même racine étymologique que le mot étroitesse. Voici ma lecture de ce que Dieu dit à Moïse : Il y aura toujours un contraste entre l'idéal que vous aviez en tête et la réalité que vous vivrez. Si vous vous sentez coincé dans un endroit étroit dans votre vie, si la direction générale de votre vie vous semble floue, voire remplie d’obstacles et d’impossibilités, il suffit de faire confiance et d'accueillir les réponses qui se dessinent peu à peu, comme l’image d'un puzzle qui évolue au fur et à mesure qu’on assemble les pièces. À l'heure des dry january et des grandes résolutions du début d’année, il est bon de prendre un moment pour poser ses intentions tout en reconnaissant que nous n'aurons pas le dernier mot.
Je crois qu’une présence divine, peu importe comment on la.le nomme, est là pour ça : non pas pour apporter des réponses claires mais bien pour douter du doute qui s'immisce en nous. Èhyè Asher Èhyè est un nom sous forme d’un programme plaçant le futur comme source d’inconnu mais d’espérance. Accepter le Grand Mystère. Tout n'a pas de réponse, du moins pas quand on le décide. Dieu n’est ni le père, ni la mère, mais une confiance à trouver en soi pour offrir un chemin vers la liberté. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la liberté.
Èhyè Asher Èhyè devient au fur et à mesure des pages le Dieu des Dix commandements que l'on répète tout le temps : « Je suis l'Éternel, ton guide, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison d’esclavage »[8]. « Une pratique qui m’incite à atteindre le meilleur de ma capacité à être libre et à défendre la liberté, c'est de l'ordre du transcendant » écrit Floriane Chinsky dans Des femmes et des dieux.[9] Croire en ce Dieu autour du Buisson ardant c’est croire à demain, à un demain libéré des enfermements de hier.
Ou comme me le dira ma copine Marguerite quelques jours plus tard: I am ready to surrender and I trust the process.
Pour finir … avec Toi
Alma Reisel disait quelque chose d’intéressant par rapport à ses femmes patientes. (Evidemment, les cas inverses existent aussi : des hommes qui subissent des violences mais ce n’est juste pas la réalité que je connais le mieux, je continue donc au féminin). Elle disait que souvent, pour sortir des dynamiques violentes, ces femmes allaient à des groupes de soutien, de parole, en thérapie etc. Mais que toujours elles en sortaient avec le même sentiment que le problème venait d’elles. Qu’elles étaient trop fragiles, trop blessées pour pouvoir établir une relation saine et pérenne, qu’elles choisissaient toujours les mauvais hommes. Comme si la responsabilité était entièrement leur. Etant donné que la violence n’est pas décrite de manière systémique et structurelle, elles pensent que c’est de leur faute. Les thérapies échouent à leur offrir un contexte plus large, un horizon plus grand qu’elles. Les violences ne sont jamais des évènements individuels mais s’inscrivent dans un continuum, dans une dynamique depuis longtemps établie qui souvent commence dans la petite enfance, et parfois avant ça, à travers l’histoire familiale transgénérationelle.
Marlène Dumas, Blindfolded, 2002
Je parle avec des sœurs et des amies qui péniblement naviguent des espaces relationnels violents ou difficiles. Comme les israélites, elles se retrouvent sous l’emprise d’une relation, dans un couple dysfonctionnel qui après plusieurs mois ou plusieurs années devient tout à fait toxique. Il n’est pas rare de voir des femmes se jeter à corps perdu dans des histoires d’amour et qui ont beaucoup de mal à quitter des partenaires maltraitants par peur d’être seule, par dépendance financière, par souci pour les enfants ou tout simplement car on ne sait pas faire autrement. « Elle fait taire ses intuitions qui sont là pour la mettre en garde, son besoin ultime d’être aimée lui donne l’impression de vraiment l’être par son bourreau. Une relation malsaine de culpabilité se met en place « Si j’ai fait quelque chose qui t’a déplu, c’est de ta faute, à toi ! ». [10]
L'Âge mûr, Camille Claudel, 1898-1913
En écrivant ce texte, je me suis replongée dans les dernières pages du livre de Vanessa Springora « Le Consentement » dans lequel elle raconte la relation d’emprise entretenue par l’écrivain Gabriel Matzneff lorsqu’elle avait 14 ans. Il faut lire ces livres, Vanessa Springora mais aussi Camille Kouchner, Neige Sinno ou encore Léontine Behaeghel. Des récits de femme qui libèrent déjà les générations à venir. Toutes décrivent des systèmes et mettent en lumière, grâce à l’écriture, les mécanismes insidieux de l’emprise : la séduction, la manipulation, l’isolement, le sentiment de folie, le regard des autres, la violence, le silence. Vanessa Springora raconte en détails comme des années plus tard, le prédateur refuse de lâcher sa proie : il la traque, envoie des lettres, parle d’elle à des connaissances communes, écrit à la directrice de sa maison d’édition, ne lâche véritablement jamais sa victime.
Détails du Rapt de Proserpine, Gian Lorenzo Bernini, 1621-1622
Comment ne pas penser à Pharaon qui refuse, non pas une fois, non pas deux fois, mais plus d’une dizaine de fois de laisser partir son peuple d’esclave. Car que serait-il sans ça ? Un bourreau n’est rien sans sa victime. Cette dernière lui confère un pouvoir. À travers elle, il trouve sa valeur. Dans la parasha Chemot, les hébreux en veulent à Moïse et Aaron d’intervenir, qu’ils les laissent tranquillement esclaves, au moins ils savent à qui ils ont à faire, à quoi s’en tenir. Toute personne qui aura essayé d’intervenir auprès d’un.e ami.e sous emprise, aura pu se sentir un peu comme Moïse et Aaron.
Et quand le jour de la libération arrive, les israélites résistent, certains refusent même de sortir. Oui, ils elles ont peur car même si une relation est néfaste, au moins on connait sa situation. D’autant plus que la libération prend du temps, il y a le moment où on décide de se séparer, de quitter, d’arrêter l’emprise mais il y a souvent un temps plus long, celui du deuil et de la reconstruction pour pouvoir accepter la partie de soi qu’on a laissé mourir avec la rupture.
L’inconnu, l’après, la solitude … 40 ans dans le désert … ça fait peur.
“Je pense qu’il est extrêmement difficile de se défaire d’une telle emprise, dix, vingt ou trente ans plus tard. Toute l’ambiguïté de se sentir complice de cet amour qu’on a forcément ressenti, de cette attirance qu’on a soi-même suscitée, nous lie les mains plus encore que les quelques adeptes qui restent à G. dans le milieu littéraire.”
Le Consentement, Vanessa Springora
Mais l’esclavage n’est pas une fatalité, le pouvoir n’est pas un droit, aucun empire n’est invincible, une minorité peut accomplir de grandes choses si elle se fie à sa destinée. N’est-ce pas ce que nous raconte le Livre de l’Exode ?
Pour finir, j’aimerais citer Martin Buber qui écrit dans l’Eclipse de Dieu : « Certes les hommes dessinent des figures grotesques qu’ils signent du nom de ‘Dieu’, ils s’entretuent et prétendent que c’est « en son nom », mais lorsque s’écroulent la folie et l’imposture, lorsque dans la pénombre la plus solitaire ils se retrouvent face à Lui et ne parlent plus de « Lui, Lui » mais soupirent « Toi, Toi ! », lorsqu’ils s’écrient « Toi ! » et qu’ils ajoutent ensuite « Dieu », n’est-ce pas le vrai Dieu des hommes de l’enfance ? N’est-il pas celui qui les entend ? Celui qui les exauce ? Et le mot « Dieu », le mot de l’appel, le cri devenu Nom, n’est-il pas ainsi devenu sacré dans toutes les langues humaines et pour tous les temps ? »
Et plus loin il ajoute : « Le vieil homme se leva, s’approcha de moi, posa la main sur mon épaule et dit : ‘Nous allons nous dire tu’. La conversation était achevée. Car là où deux personnes sont vraiment ensemble, elles le sont au nom de Dieu. »
La Cathédrale, Auguste Rodin, 1908 - Une sculpture qui m’a fort touchée pour la sacralité de cet effleurement, et pourtant, comment ne pas écrire que lui aussi abusa de sa position de dominance envers ses élèves, et notamment vis-à-vis de la plus talentueuse d’entre toutes, Camille Claudel, qui finira ses jours internée dans un institut psychiatrique après plus de 10 ans de relation, une rupture de laquelle elle ne se releva jamais.
A tous ceux et celles qui me font questionner ma croyance, merci, je vous aime.
A tous ceux et celles qui péniblement sortent de cycles de violence et d’emprise,
Ayez foi, le futur est mystère mais liberté.
Puissions nous toutes et tous sortir de nos Egyptes en chantant bien fort:
I am what I am
I am his own special creation
So come take a look
Give me the hook
Or the ovation
Julia R.
Merci pour votre lecture 💖
J’attends vos retours par email julia.cincinatis@gmail.com et suis ouverte à toute contribution ou collaboration. Si ça vous a plu, n’hésitez surtout pas à partager autour de vous à des personnes susceptibles d’apprécier la démarche.
[1] Je rephrase ici une citation célèbre de l’artiste peintre Francis Picabia : « Ce sont les mots qui existent, ce qui n'a pas de nom n'existe pas. Le mot lumière existe, la lumière n'existe pas. »
[2] La psyché humaine, selon Carl Jung, repose sur une structure de bipolarité masculine/féminine. Chaque individu, nous dit le psychanalyste zurichois, est « bisexué » dans le sens où il possède, dans son psychisme, les deux polarités : mâle et femelle. La polarité masculine de la femme, il la nomme : « animus », la polarité féminine chez l’homme : « anima ».
[3] Erich Fromm, L’art d’aimer, 1967, Page 87
[4] Rabbin Jericho Vincent, “The Vending Machine God & The Path to Freedom”, 04.01.2024
[5] Mikraot Gedolot, Editions Gallia, Vol 5, Page 107
[6] Idem.
[7] Rabbi Sacks, Covenant & Conversation, 5780/2020
[8] Nombres 15 :41, également repris dans le troisième paragraphe du Chema Israël
[9] Floriane Chinsky, Des femmes et des dieux, Les Arènes, 2021, Page 82
[10] Sylvie Tenembaum, Se libérer de l'emprise émotionnelle, Leduc S, 2018
Merci Julia, ton approche de cette parasha me parle à 💯. Dieu n’a pas de genre bien entendu, déjà se poser la question est bizarre, non ? Aussi te lire au sujet des hébreux en Égypte .. à forte résonance pour moi: Que serait pharaon sans les hébreux? Que serait le Hamas sans les otages ? Un bourreau sans victimes n’a plus de légitimité !
Tes questionnements déverrouillent des portes, ça fait du bien 😌