C’était sympa d’être au café du Concorde à Toulouse avec Johanna et Jeremy vendredi soir 8 Mars 2024. « C’est notre petit rituel » me glissa-t-elle à l’oreille. Ça parlait journée de la femme, Israël et charpentes. Une conversation entre trois juifs légèrement névrosés comme on les aime : pleine de sel, d’humour et de questionnement. Jeremy a à un moment évoqué sa thèse de droit qu’il avait commencée (et arrêtée): une comparaison du droit constitutionnel entre le système français et le système israélien. La thèse d’une vie. Il en était venu à la conclusion que derrière l’étendard de la laïcité, le système français, s’était aussi construit sur une vision très chrétienne de la loi et du rapport à la justice. Surprise, Johanna a demandé s’il n’y avait pas l’équivalent de la Halakha dans le Christianisme.
Silence Radio.
La paix sociale
Chaque année la même rengaine, au moment d’aborder la parasha Michpatim, une partie de moi se dit La fête est finie, fini le symbolisme poétique de la Genèse, les fratricides à gogo, le grand méchant Pharaon, les dix plaies d’Égypte, la lutte pour la liberté … Que l’ennui commence.
La parasha Michpatim qui vient juste après celle de Jethro est la parasha des lois (משפטים littéralement). Si les Dix Paroles représentent un code moral, s’en suit un code civil et pénal avec des restrictions et des règles claires et précises. Il ne suffit pas de dire « Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain », faut-il encore connaitre le statut juridique d’une maison, d’un champ ou de tout autre bien. [1] La parasha de Michpatim contient en tout 53 mitsvot : 23 commandements impératifs et 30 interdictions. Michpatim détermine les règles de fonctionnement d’une société.
Je ne suis jamais prête pour cette parasha car je viens tout juste de sortir de mon Égypte. Je suis relativement fatiguée de cette traversée, en émoi de tous les miracles et de tous les morts que j’ai vus. Comme sidérée, je ne trouve plus mes mots. J’ai vu les eaux et le sol trembler, l’obscurité et le feu nous accompagner, la manne descendre du ciel … Je suis une enfant hypersensible en plein PTSD (Post-traumatic stress disorder) et j’aurais bien besoin d’un petit moment pour souffler et reprendre mes esprits. Peut-être même faire un cercle de paroles avec d’autres copains et copines Kum ba yaaah pour discuter de ce qu’il vient de se passer et traiter le trauma collectif de l’exil: Comment on se sent tous ? Comment vont nos proches ? Ce que ça nous fait de quitter nos Égyptes et de partir vers l’inconnu ? Quels sont nos peurs ? Comment ne pas reproduire l’histoire envers une autre population ?
Moi j'aurais bien aimé un peu plus de tendresse
ou alors un sourire ou bien avoir le temps
Mais au suivant
Au suivant !
(Jacques Brel)
En sortant de l’esclavage, j’aurais bien aimé un peu de temps pour reconnaître le chagrin, pour penser mes plaies. Mais non Julia, tu n’es pas dans Lalaland, la Torah ne laisse ni repos ni répit. Tu voulais la liberté, la voilà, Welcome!
Hillel me dirait que c’est parce que nous rentrons enfin dans la réalité. Et d’une certaine manière, il a raison: il n’y a pas d’amour, seulement des preuves d’amour. Ne me dis pas, montre-moi. La réalité n’est pas une pensée, elle n’est pas une parole, elle est sa matérialisation concrète. Avec cette liberté d’Égypte, vient la question de la responsabilité et de ce qu’on en fait, concrètement. Or, la liberté est une notion fort complexe. On rêve tous et toutes de partir vivre sur une plage à l’autre bout du monde sans les embouteillages, les factures et toutes les petites emmerdes du quotidien, mais je ne crois pas qu’on s’y sente véritablement plus libre. Faut demander à ma grande sœur. La liberté n’est pas un cliché simpliste qu’on présenterait comme un droit évident, naturel, possible et facile, sans frais et à portée de main de tout un chacun.[2] En lisant Michpatim, on entend qu’il serait préférable d’observer les commandements que de croire en Dieu. Ce n’est pas Dieu qui est appelé à occuper égoïstement, narcissiquement, le centre mais la loi, destinée à libérer l’homme de lui-même et de ses semblables, au sein des limites et d’un cadre. [3]
Saviez-vous que malgré la croissance exponentielle du trafic routier, le nombre de personnes tuées sur les routes en Suisse a reculé de presque dix fois depuis les années 1970 ? Il n’y avait à l’époque ni limite de vitesse, ni limite de consommation, ni ceinture de sécurité. Dans un autre registre, c’est Max - un ami qui développe des occupations temporaires dans des bâtiments vides de la ville (Communa) - qui avait démarré sa thèse de droit en posant la question suivante: “Pourquoi, lorsqu’on voyage dans la plupart des squat/communs en Europe, il y a rarement de rouleaux de papier, aux toilettes ?”. Démocratie et vivre-ensemble ne coulent pas de source.
La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent.
Montesquieu
En réfléchissant à la place de cette parasha dans le texte, je me suis dit que ce cadre était imposé pour sécuriser le peuple. En fait, on est tous en PTSD de cette sortie d’Égypte, et on improvise notre survie dans une cacophonie propre à l’être humain. Alors nous avons besoin d’être rassurés. Nous avons besoin de savoir ce qu’il se passe lors d’une querelle entre voisins, lors d’un vol, lors d’un mariage qui tourne au vinaigre. Les lois sont là pour nous permettre de nous ancrer dans cette nouvelle vie, nous donner des obligations, des restrictions et surtout des repères. Un paramètre dans lequel pouvoir opérer cette liberté nouvellement acquise. Tout fragiles que nous sommes, nous avons bien besoin d’un filet de sécurité émotionnelle, ici, c’est la loi qui l’amène, la mène.
Hors Cadre
Seulement voilà, je ne peux m’empêcher de constater que, par ces règles, Michpatim met déjà en place un système socio-économique avec des classes, des genres et des droits, établissant une claire hiérarchie patriarchale avec au centre du game, la propriété privée. Kikou El Capitalisme. Cette nouvelle sécurité ne l’est en fait que pour certains. Avec mon Tarot, mes intentions de nouvelle lune et mes cercles de femmes, j’aurais sans aucun doute fini sur le bûcher.
Quand tu achèteras un esclave, il sera esclave pour six ans ; la septième année il pourra s’en aller librement (Exode, 22 :1)
Quand un homme vendra sa fille comme esclave celle-ci ne retrouvera pas la liberté dans les mêmes conditions que les hommes esclaves (Exode, 21 :7)
Tu ne laisseras point vivre une femme qui pratique la sorcellerie (Exode, 22 :17)
La seconde raison pour laquelle je questionne ce besoin soudain de sécurité par le cadre c’est que Michaptim comprend aussi les houkim, ces lois dites ‘irrationnelles’ comme la cacherout pour lesquelles il n’y a pas d’explication objective mentionnée dans le texte. Elles sont respectées jusqu’à nos jours pour la simple et bonne raison que Dieu les a ordonnées. Et ça, c’est une pilule qui m’est difficile à avaler, ou justement … à ne pas avaler. C’est comme ce type du service client de la banque sur lequel je me suis un peu emporté la semaine dernière. Il me disait : « La règle c’est la règle, je ne peux rien faire pour vous madame … Malheureusement, vous devez remplir ces documents, nous les envoyer par la poste en recommandé après avoir fait tamponner le document par un comptable certifié, faire le tour de la ville sur un pied, nous envoyer une photo de vous en couleur, de taille 5.5cm sur 3.5cm qui ne se fait que dans cette agence ouverte le lundi et le mercredi entre 07h17 et 08H13 et il faut que vous vous inscriviez au préalable pour pouvoir postuler afin de recevoir le QR code du site pour pouvoir confirmer le rendez-vous. » MAIS POURQUOI ?!? « la règle c’est la règle. »
Et j’entends Bruno, mon prof de conduite, dire: vous avez beaucoup plus de chance de réussir votre permis si vous comprenez le pourquoi derrière les règles de la route, c’est plus simple à mémoriser.
Dialogue génial provenant de la série israélienne Dana & Murray (Arte, 2024) qui illustre parfaitement le propos.
Trop de cadre, tue le cadre. Comment expliquer que seuls 31 petits versets nous parlent de la création du monde et trois parashiot entières de l’édification du Tabernacle ? Ça fait beaucoup de réalité tout ça. Comment s’assurer que ces lois ne sont pas juste une nouvelle forme d’idolâtrie ? La religion serait-t-elle davantage une histoire de confort de la routine du rituel plutôt que de véritable sentiment de révérence devant le All-of-Everything ? La religion serait-t-elle davantage une obsession du mesurable au détriment de l’infini ? Du faire au delà du croire ?
Mon intention ici, n’est pas de faire le procès de la cachecrout - tout le monde s’en fout - mais juste de demander honnêtement si notre relation au Divin ne devrait pas être une relation comme les autres : dynamique ?
Fuyant la Critique, Pere Borrell del Caso, 1874,
Que ce soit dans mes amitiés ou mes relations amoureuses, mon rapport à l’autre évolue avec le temps. Il y a des personnes de qui j’ai été très proches avec lesquelles aujourd’hui je ne connecte plus du tout, d’autres avec lesquelles on s’est éloignées pour mieux se retrouver, d’autres encore pour lesquelles je suis tombée en amour instantanément et depuis c’est facile et souple. Notre rapport à Dieu, je le crois profondément, est aussi une relation dynamique. Il suffit de parler à d’autres juifves autour de vous et leur poser la question. Certains se sont rapprochés de leur foi à un certain moment de leur vie, sans y plonger entièrement. D’autres sont devenus plus religieux avec le temps, à travers une relation ou via l’éducation des enfants. D’autres ont grandi dedans et ont eu besoin d’en sortir tout à fait, pour pouvoir y revenir de manière saine. C’est ma mère qui au téléphone ce matin me dit: “toi, tu es une hozeret bit’chouva, Julia”. Je pense notamment à cette famille qui mangeait de tout lorsqu’elle habitait en Europe mais une fois avoir emménagé à New York, il fut beaucoup plus simple de changer les habitudes et manger casher. Si l’on regarde autour de nous, dans nos communautés, on réalise à quel point le rapport au sacré évolue au fil d’une vie. N’est ce pas le propre de la conscience humaine que d’être en perpétuel mouvement, de croire aujourd’hui en ce en quoi elle doutait hier ? Abraham est qualifié d’hébreu parce que “hébreu” se dit en hébreu ivri, dont la racine signifie “passer”, “traverser”. Alors pourquoi les rites qui accompagnent cette croyance ne devraient-ils pas, eux aussi, évoluer ?
Quand faire c'est croire
Lisa avait l’habitude de faire une session de yoga Melissa Wood tous les matins, Joan une marche le long de l’Arve avec son chien Clapton, Hillel mettait ses tefillin, Ido prenait son café avec sa cigarette et je tentais péniblement d’aligner les trois prières du matin, sans faire de faute. Nous sommes tous et toutes à la recherche d’une forme de culte, il ne suffit pas de croire. Il ne suffit pas d’être libre. Nous sommes individuellement responsables de réinventer cette croyance que nous avons déjà acceptée, à travers la pratique de rituels.
Comme le dit merveilleusement bien Bayo Akomolafe dans le podcast For the Wild : Le traumatisme est lié à la perte ou à la rigidité du rituel. Quand on s'accroche, quand on se fige, on a une crise de la forme qui est, en d'autres termes, une crise du rituel. Et c'est dans cette crise que de nouvelles formes de rituels sont nécessaires. Mais pour que de nouvelles formes de rituels voient le jour, de nouvelles règles doivent proliférer, de nouvelles énergies doivent jaillir. L'archétype du chef, l'archétype du prêtre, l'archétype de l'illusionniste doivent tous surgir. Nos rituels modernes nous ont rendus si fonctionnels que nous sommes comme enfermés. Nous essayons de fit in, de nous intégrer à tous prix ... et parfois, l'intégration devient profondément problématique et nous voulons trouver un moyen d'en sortir. On veut un autre type de rituel … Le monde est encore en train de se faire, il est encore en formation. Il n'est pas encore achevé. Et c'est de là que viennent la créativité et l'émancipation. [4]
נַעֲשֶׂ֥ה וְנִשְׁמָֽע
(Exode: 24 :7)
Et c’est l’unique Eric Ackermann qui m’a apporté une lanterne dans son commentaire hebdomadaire. Il écrit :
« La parasha de Michpatim conclut par les mots célèbres : Naase venichma ‘Tout ce qu’a déclaré Hachem, nous ferons et nous écouterons’ [5] Le Rav Lord Sachs déduit que nous pouvons uniquement comprendre le judaïsme en le faisant, en accomplissant les commandements et en vivant une vie juive. Au début, il y’a l’action. C’est seulement après que surviennent la compréhension et la perspicacité. Il s’agit à la fois d’un signal et d’un argument central. L’esprit occidental moderne a tendance à faire les choses dans le sens contraire. Nous cherchons à comprendre nos engagements avant de nous engager. La seule manière de comprendre le mariage est d’être marié. La seule manière de savoir si un certain métier vous convient est de l’exercer pendant un certain temps. La seule façon de comprendre un mode de vie est de prendre le risque de le vivre. »
Peut-être que ce qui est attendu de nous, ce n’est pas simplement le respect d’un cadre pré-établi, mais une forme d’engagement, afin que nous puissions nous en émanciper. Et ça vaut la peine de réfléchir à nos engagements dans leurs détails concrets et matériels. Un couple - au delà de l’amour - c’est aussi deux personnes qui décident de partager consciemment un budget, un loyer, les déjeuners chez la belle famille et une réalité socio-économique … tout le poids des décisions et des responsabilités qui viennent avec. D’ailleurs, le mot engagement vient du vieux français engagier, qui provient lui-même du latin "in" (dans) et "gagium" (gage), ce qui signifie littéralement "mettre en gage". À l'origine, ce mot était utilisé dans le contexte des transactions financières où quelqu'un mettait un bien en garantie pour obtenir un prêt. Par extension, au fil du temps, le mot a pris un sens plus large pour désigner tout acte de promesse, de contrat ou de dévouement envers une cause, une idée ou une personne.
Michpatim nous dit ça : tout choix coûte et tout choix se paie.
Si un homme emprunte une bête à son voisin et que la bête se blesse ou meure en l’absence du propriétaire, l’emprunteur le remboursera. (Exode, 22 :13)
Si tu prêtes de l’argent à un autre israélite pauvre, n’agis pas comme les autres créanciers, ne lui réclame pas d’intérêts. (Exode, 22 :24)
Si un homme séduit une jeune fille vierge qui n’est pas encore fiancée et qu’il couche avec elle, il devra l’épouser, en remettant au père le cadeau traditionnel. Si le père refuse de la lui accorder, le séducteur lui versera quand même l’équivalent en argent du cadeau traditionnel remis quand on épouse une jeune fille. (Exode, 22 :15-16)
C'est une chose d'y croire, et ça en est une autre d'y dédier sa vie, d’y dédier son temps, d’y dédier ses sous. Chaque année la même rengaine, au moment d’aborder la parasha Michpatim, une partie de moi se dit la fête est finie … Que l’ennui commence.
A partir d'ici, en fait, si tu n'y crois plus, t'arrêtes.
Entre discipline et création réside l’importance du gribouillage
Ce week-end avec ma cousine nous avons parlé pendant un long moment du processus d’écriture et du de l’édition francophone. Ma cousine, Johanna Cincinatis, a déjà publié un premier livre aux éditions Harper Collins et elle s’apprête à sortir son nouveau livre d’ici deux mois aux éditions Stock. (Suivez la) Nous parlions de tous les livres qui sortent, sans réel contenu mais parce que l’auteur.trice a quelques milliers de followers sur Instagram. Nous nous indignions toutes les deux : comment se fait-il que ces torchons soient imprimés et vendus à tant d’exemplaires alors que certaines pépites de textes ne voient jamais le jour ? Johanna en est venue à la conclusion suivante: la discipline. Le plus tu écris, le plus tu te dépouilles. Moins de phrases bateau, de coquilles vides, de textes sans fond. Elle le répète à ses jeunes élèves de l’école de journalisme: Ne me dis pas, montre-moi.
Show, don’t tell
Il n’y a pas d’amour, seulement des preuves d’amour. Au début de la vie juive, il y’a l’action.
Cette réflexion autour de Michpatim m'a donc ramenée à ici et maintenant, à cette Newsletter, le18, commencée il y a maintenant 6 mois, dans l’inspiration d'une nouvelle année … sans trop savoir vers quoi ça me mènerait. Cette Newsletter est ce que mon ami Bastian appellerait du gribouillage. Les enfants que nous avons été et les enfants que nous aimons nous le démontrent chaque jour : il n’est pas nécessaire de savoir, de connaître, pour prendre un crayon et dessiner quelque chose. Ce qui importe c'est l'élan, l'envie, le plaisir ... c'est le geste originel. D'ailleurs, je crois que nombreux sont les artistes qui tentent toutes leurs vies de revenir à leurs toutes premières ébauches. Tout est là, le reste n'est que discours et adulteries.
Cy Twombly, School of Athens, 1964
Oui, cette Newsletter est un gribouillage : s'autoriser à un moment à faire, sans savoir où l'on va mais y croire, dur comme fer. Chaque pièce d’art, chaque chanson, chaque livre porte en lui la mémoire de ce temps passé à l’exécution, au faire, qui souvent devient invisible une fois la pièce sortie au grand jour. Pour reprendre les mots de l’artisane tisserande belge Elise Peroi : « Il se joue en général dans l’atelier une dramaturgie qui révèle de la puissance du processus. » [6]
Et là réside peut-être le propre de toute démarche et poursuite artistique. Ne pas savoir mais le faire tout de même et le faire avec grande dévotion et grande discipline. Je pense qu'en ça, un bon libraire peut être un grand artiste, tout comme un grand chef cuisinier.
Dialogue génial provenant de la série israélienne Dana & Murray (Arte, 2024) qui illustre parfaitement le propos.
Me tombe alors entre les mains, le formidable manifeste de Kae Tempest On Connection dans lequel iels écrivent à propos du processus d’écriture :
« Il n'y a pas de succès dans l'écriture. Il n'y a que de meilleurs degrés d'échec. Écrire, c'est échouer. (...) C'est la réalité de l'existence d'un artiste, et c'est ce qui lui donne la crainte et le respect qui sont la marque d'un bon artiste. Un processus de persévérance malgré les échecs et de fierté tranquille dans la capacité de continuer à échouer, et avec un peu de chance, comme Beckett l'aurait dit, d'échouer mieux. » [7]
Ne pas savoir et pourtant continuer à échouer jusqu’à se rapprocher un peu plus de sa vérité. Là où la religion promet une rédemption ultime - dans l’arrivée d’un Messi - l’art ne promet rien. Vincent van Gogh nous le crie depuis sa tombe. Or le processus reste le même. Chaque année, il nous est demandé de relire le texte biblique comme si nous ressortions à nouveau de notre propre Égypte, une Égypte qui prend de nouvelles et multiples formes d’enfermement. Des traumas desquels il faudrait guérir et se libérer grâce à des rituels assez puissants et pertinants pour y répondre. Échouer mieux. Le monde est encore en train de se faire, il est encore en formation. Il n'est pas encore achevé. Nous continuons à le créer.
Plus loin dans son livre, Kae Tempest parle du métier d’artiste. Elle parle de la différence entre le travail et le résultat. Entre les lois de Michpatim et la transcendance. Entre le faire et le croire.
« L'artisanat est le travail le plus difficile. La connexion est la récompense. Lorsque je parle de créativité ou de connexion créative, je ne parle pas des rouages de l'artisanat ou de la technique. Une grande partie de la connexion créative est subconsciente. L'artisanat, c'est le contraire. Un bon métier repose sur des bases solides, des années de pratique et d'expérimentation sur lesquelles on peut compter à tout moment pour vous guider dans le processus créatif. L'artisanat est la chose que vous développez pendant que vous attendez que la connexion se manifeste. »
L’autre jour, mon père m’a envoyé une vidéo du discours d’acceptation du Prix d’excellence pour l’ensemble de sa carrière de Barbra Streisand au SAG Awards. Et Barbra raconte comme l’histoire de sa vie commença un samedi après midi au Loew’s King Theatre à Brooklyn lorsqu’elle regarda pour la première fois le film Guys and Dolls et fut éblouie par les décors - bien différents de son appartement dans lequel sa mère couvrait tout de plastique - et ensuite elle fut éblouie par Marlon Brando. Barbra ne tenait pas Shabbat, elle n’était pas à la synagogue … Barbra regardait Marlon Brando, et pourtant qui mieux que elle a incarné les héronies juives telles que Fanny Brice dans Funny Girl et évidemment Yentl ? Elle n’est qu’un exemple célèbre, parmis tant d’autres, de personnes qui ont decidé de faire de leur vie, un art, réinventant les rites auxquels on décide tous d’appartenir.
C’était sympa de danser au Bar Mucho samedi soir avec Johanna et Jeremy à Toulouse. Le lendemain, au réveil, ça faisait boom boom dans mon crâne. Je remplis ma gourde d’eau avant de retourner au lit et de dire à Johanna:
- J’arrête l’alcool
- Juste parce que tu t’es réveillée en gueule de bois, tu voudrais arrêter ?
- Ouais … C’est vrai, en réalité, je ne bois peut-être pas assez pour arrêter radicalement. Mais j’ai juste envie de me prouver que je peux le faire pendant un mois. Juste question de discipline
- Alors, choisis une discipline qui te fait plaisir.
Sur ce, je vous laisse, je vais courrir mes 10km autour de Veyrier.
Être libre, dans ce monde, n’est pas un dû. C’est un privilège et une énorme responsabilité.
Puissions-nous choisir des lois et des cadres de vie qui nous amènent toujours plus proche de notre vérité intérieure.
Puissions-nous nous dévouer à ce qui a la capacité de nous faire rentrer en résonance avec le Divin.
Puissions-nous trouver cette chose, qui n’a pas besoin de faire sens, pour laquelle on est prêt.e à continuer à échouer.
Puissions-nous avoir le courage de continuer. A créer. De nouveaux récits. De nouveaux rituels. A créer. Notre propre réalité. Sans savoir. Car c’est du gribouillage que naissent les étoiles.
Quand faire c'est croire.
Naase Venichma
à Bastian, à Rachel, à Johan
Et à Johanna et Jeremy
Merci pour votre lecture 💖
Derrière tous ces mots, tous ces maux, c’est de moi que je parle. C’est un exercice redoutable et de longue haleine. Merci de rester avec moi jusqu’au bout. J’espère que certains passages auront résonné en vous. N’hésitez pas à partager vos impressions et ressentis par email julia.cincinatis@gmail.com ou de partager cette lettre avec des amie.s susceptibles d’apprécier la démarche.
A tout vite.
[1] Miqraot Guedoloth, Vol7, p5, Ed. Gallia
[2] Moussa Nabati, La bible , une parole moderne pour se reconstruire, Editions Dervy, 2011, p110
[3] Idem. P,101
[4] Three Black Men on The World as Ritual – Podcast: THREE BLACK MEN on the World as Ritual /368 (youtube.com)
[5] Traduction - Miqraot Guedoloth, Vol7, p271, Ed. Gallia
[6] Elise Péroi, titre, page
[7] Kae Tempest, On Connection, Year, p76 – traduction relativement médiocre d’un générateur en ligne