PERSONNAGES
REGEV
Trentenaire. Professeur de philosophie. Tombé dans une marmite grecque quand il était petit. A vécu plusieurs vies : une au moshav, une à l’armée, une à l’université, une dans des clubs de jazz, une autre encore entre deux avions au-dessus de la Scandinavie. Visage sombre, puissant, intelligent. Barbe bien taillée, régulièrement huilée, ambrée par endroits (voire rousse au soleil). Cheveux courts, mais jamais trop, et toujours un peu plus longs à l’arrière. Il porte un pantalon bleu, un tee-shirt bordeaux, des Birkenstock aux pieds. Regard doux et droit. Elocution calme, précise et ferme.
JULIA
Trentenaire. En constante quête d’une identité professionnelle qui se renouvelle à peu près tous les quatre ans. Réfléchit la nuit. Sieste obligatoire en journée. Regrette qu’une partie de l’humanité choisisse de se lever tôt pour être coincée dans les embouteillages. Visage ouvert, porté par un très long cou. Adore les bijoux fantaisie, surtout les boucles d’oreilles. Teint mat, sourire éclatant et généreux. Elle porte une robe bleu ciel en coton, achetée au marché, et de vieilles Nike noires et blanches, pleines de boue séchée. Optimiste. Vive gesticulation. Surtout quand elle s’emporte dans des explications passionnées.
DÉCOR
Honda Jazz, première génération, produite et commercialisée au Japon en 2001, boîte automatique à variation, couleur rose-rouge, pare-brise taché de larges auréoles opaques. Un bruit incessant de tac-tac émane du clignotant gauche défectueux. Ce qui vaut au conducteur de se faire claxonner à peu près toutes les 11 minutes par ce que le conducteur appelle « de bons samaritains ». Par terre : deux bouteilles d’eau vides, une paire de chaussettes roulée en boule, un paquet de Bamba entamé. Les téléphones sont branchés dans le porte-cigarette. C’est une fin d’après-midi, il fait lourd et gris comme si l’air était imprégné de particules de sable. Autoroute vers Tel Aviv. Embouteillages et queues de poisson. Regev conduit. Julia est assise du côté passager.
SCÈNE I
R : Salut tout le monde.
Je suis le mec dont Julia parle dans son dernier article intitulé « Ma Sortie d’Egypte », à qui elle balance qu’elle n’est pas prête à s'engager, que tous ses ex vivent en moi etc. J’ai découvert son texte 12 heures plus tard... après publication … sans qu’elle m’ait demandé mon avis au préalable.
J (interrompant) : Six heures après.
R : Peu importe. Ce qui compte, c’est que c’était un moment vraiment intime et personnel de notre relation et qu’apparemment elle ne semble pas voir la frontière entre sa vie et sa newsletter. Tu me diras, c’est devenu si naturel, dans cette époque d’autofiction, de poste Instagram et autre — qu’elle n’a pas pensé à me demander mon consentement avant de publier ce texte. Et peut-être que je suis vieux jeu …
J (interrompant) : Tu es définitivement vieux jeu
R (indifférent) : … mais je crois encore que l’intime mérite d’être protégé. J’ai du mal à avaler ça. Alors aujourd’hui, je veux poser mes mots avec ma propre voix. Parce que cette voix m’a été confisquée.
J (imitant un jingle de lancement d’une émission de radio) : Bonjour Regev ! ברוך הבא Bienvenu à toi, dans Le18. C’est avec beaucoup de joie, de plaisir et beaucoup d’amour que nous t’accueillons aujourd’hui dans l’émission.
Regev rigole
R : C’est ainsi que je commencerais notre dialogue.
J : C’est une bonne intro.
R : Parce qu’au fond, c’est ça la question à poser dans cette Newsletter : c’est quoi l’autofiction ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Jusqu’où peut-on raconter nos vies — écrire, filmer, photographier, illustrer — sans trahir ceux qui la partagent ?
J : Pour moi, c'est capturer, documenter. J'ai passé ma vie à remplir des carnets, un journal intime, et puis un jour j’ai glissé vers autre chose … j'ai eu envie d'avoir des lecteurices. Ok, je suis vaniteuse. Comme (à peu près) tout le monde. L’autofiction pour moi c’est … une légère transformation. Tu ne livres pas ta vie complètement brute. Plutôt tu en extraits certains fragments que tu tords et façonnes pour les rendre plus lisibles, plus accessibles, plus appréciables… en bref, pour en faire une bonne histoire.
R : Fine... si tu vis dans un monde qui ne tourne qu’autour de toi. Jusqu’à en oublier que d’autres existent.
J : Mais ce dialogue-ci, n’est-il pas encore plus intrusif ?
R : C’est une tentative de réparation. Ce n’est plus juste le Kardashian Show… c’est le Kardashian & someone else-West Show.
Blague inattendue. Ils rigolent tous les deux.
J : Non mais sérieusement Reg, ce dialogue n’est-il pas une étape de plus pour inviter mes lecteurices (ou devrais-je dire nos lecteurices) à une thérapie de couple ?
R : Peut-être. Mais la question éthique de ce dialogue est la suivante: est-ce que ce monde ne concerne que moi ? (ce qui, soit dit en passant, me semble être le mal de notre époque), ou, est-ce qu’il y’aurait dans ce monde, de la place pour l’autre ?
J : Oui, sauf que Le18, c’est en effet ma Newsletter. Elle parle de moi et les cinq cents personnes qui me lisent depuis 18 mois, me suivent parce que c’est moi et parce que je suis sincère dans mon propos.
R : Justement. Plus c’est intime, plus ça blesse ceux qui te sont proches.
J : C’est pourquoi j’ai dépublié l’article.
R : Dépublier ne change plus rien. Ce qui est fait est fait. Maintenant que je suis exposé, le choix de comment continuer ensemble est le mien. Le dialogue est une route vers la réparation.
J : Maintenant tu as une voix dans mon spectacle.
R : Penses-y comme d’une interview dans ton Podcast
J : Oui sauf que d’habitude, dans une interview, il y’a un format spécifique, prédéfini. Ici, je ne suis plus sure du sujet de ce dialogue.
R : Du sujet de ce dialogue ?
J : Oui, pourquoi publier cette conversation ?
R : Pour une certaine idée que l’on se fait de la justice.
J : Ok d’accord, très bien … “La Justice” … mais franchement, tu veux que je te dise ? CE DIALOGUE N’INTÉRESSERA PERSONNE. JE NE PENSE PAS QUE CE SOIT UNE BONNE HISTOIRE!!! C’est peut-être une rectification équitable, mais mes lecteurices lisent-iels vraiment une lettre d’information sur la Torah pour entendre parler des problèmes relationnels de l’écrivaine ?
R : Faudrait que je parle de ma bite pour que ton article devienne plus intéressant ?
J (sourire en coin) : Franchement... ça marcherait mieux, oui.
R (sur un ton joueur et provocant) : Très bien. Allons-y
J (continuant dans son jeu) : je crois que ça ferait un carton auprès des lecteurices.
R (ironique) : Tu voudrais que je déballe mon passé sentimental, mes exs et mes tragédies aussi ?
J : Non mais tu prends vraiment mes lecteurices pour de simples voyeuristes ? Mes lecteurices ne sont pas des gens communs. Au contraire. Toustes ceux et celles qui m’ont écrit ces derniers jours, sont des êtres particulièrement sensibles. Ils m’ont écrit car ils ont senti que j’avais osé me mettre à nu, là où ça fait vraiment mal. J'ai osé être vulnérable. C’est courageux d’être vulnérable. Ils et elles m’ont remercié de ma « générosité ». Ce n’était pas du voyeurisme, c’était une connexion. Ils et elles se sont identifiés à mon histoire.
N’est-ce pas là le but de tout art ? De rentrer en résonance avec les autres.
Vous n’êtes pas seul.e à ressentir ce que vous ressentez.
Vous n’êtes pas seul.e à traverser ce que vous traversez.
R : C’est vrai
J : Certains, parce qu’ils sont plus courageux, plus talentueux, ou juste parce qu’ils y ont passé plus de temps, arrivent à trouver les mots justes, qu’on n’a jamais su poser soi-même, pour soi-même … Certains écrivain.e.s m’ont littéralement sauvé la vie, Reg.
R : C’est vrai
J : Ces auteurices m’ont sauvée parce qu’ils et elles ont été personnels, parce qu’ils ont été directs. Ils ne se sont pas cachés derrière la fiction. Ils et elles ont dit les choses comme elles étaient. Ils ont pris des risques, le risque de leur vie, pour montrer leur visage tel qu’il est, plutôt que tel qu’ils aimeraient qu’il soit.
C’est d’ailleurs précisément pour ça que j’ai mentionné en débutant Ma Sortie d’Égypte Anaïs Nin, Annie Ernaux et Vanessa Springora. J’aurais pu ajouter Edouard Louis ou encore Jean-Jacques Rousseau. La littérature exige de la réalité qu’elle soit confrontée dans son présent.
R (prenant un air grave) : Les Confessions de Rousseau ont certainement un rôle à jouer dans tout ça… Et comme contre-exemple nous pourrions parler de Kafka qui n’a jamais rien publié de son vivant … mais laisse moi te donner un autre exemple plus contemporain: Karl Ove Knausgård. Best-seller mondial, qui pour beaucoup, a révolutionné la littérature du XXIᵉ siècle. Je parle ici de son œuvre en six volumes, My Struggle. Cet homme a raconté jusque dans les moindres détails, sa vie personnelle, en parlant, y compris, de la maladie mentale de sa (désormais ex-) femme, et en le ramenant à lui. Son Combat. Juste après la publication du premier volume, elle sera hospitalisée et tombera dans une dépression sévère.
Bien sûr, ses livres ne sont pas un post instagram et j’ai même envie de dire que j’apprécie son écriture. Mais c’est justement en jouant sur les limites de ce qui est sa vie et ce qui est de la fiction qu’il est devenu célèbre. En dévoilant son intimité, il a inévitablement dévoilé ceux et celles qui étaient, et sont encore, le plus proches de lui. Mais c’est peut-être ce que font certain.es écrivain.e.s. … Quoi qu’il en soit, l’autofiction, selon moi, brouille les frontières entre un reportage direct de sa propre vie et cette déformation subtile qui fait qu’une fiction est une fiction.
Et je ne dis pas cela pour éduquer tes lecteurices.
Je voulais simplement exprimer ce que j’ai ressenti, moi, en lisant ta Sortie d’Égypte la semaine dernière.
(silence de plusieurs secondes)
Je crois que c’est pour ça que je t’ai dit les mots suivants en découvrant ton texte: Ta vie n’est pas un texte, Julia. Je sais que tu penses que ça l’est. Je sais que c’est ce que tu souhaites. Mais ce sont deux choses différentes.
J (doucement) : J’apprends en échouant.
R : … Mais tu ne penses toujours pas que ce soit assez intéressant pour tes lecteurices?
J : Mmmh… c’est intéressant oui mais j’aimerais surtout le relier à l’étude de la Torah.
R : Ah oui la Torah … le fil rouge de ta newsletter.
J : C’est ce qui tient ma réflexion.
R : Justement … Je te donne un autre exemple. En lisant la Torah, dans le contexte contemporain, ici, en Israël, es-tu d’accord avec moi que certaines personnes prennent ce texte très au sérieux, dans leur vie quotidienne ?
J : C’est vrai que beaucoup de gens la lisent au pied de la lettre … et dans le contexte actuel … ça cause des destructions vraiment douloureuses et irréversibles. Pour les gens. Pour le monde.
R : La Torah, c’est un texte, écrit par des humains. La vie, c’est la vie. Et les gens, eux, ne vivent pas seuls mais partagent ce monde avec d’autres gens qui, eux, n'ont rien demandé et n’ont pas signé pour vivre sous l’autorité d’un vieux parchemin.
Aujourd’hui, peu importe le bord auquel on “appartient”, tout le monde paie le prix de cette confusion.
Et certains paient un prix bien plus fort. C’est irréfutable.
J : Très vrai
R : Tout ça parce qu’on confond le Texte et la Vie
J : Excellente illustration
R : Peut-être que ça, au moins, tes lecteurices pourraient trouver intéressant. (dit-il, avec un air de « shlak, je viens de t’en mettre une petite, Uh-Uh » en balançant sa mèche de cheveux imaginaire de droite à gauche)
J : Bref, revenons à notre parasha de la semaine, tu veux ?
R : Vas-y, je t’écoute
Drawing Hands, M.C Escher, 1948
SCÈNE II
J : Dans la parasha de la semaine, après l’inauguration du mishkan, et la mort assez flamboyante de Nadav et Avihou, les fils d’Aaron, le Texte enchaîne avec les règles de la cacherout. Alors que je me creuse les méninges à réfléchir à la juste place du récit dans ma vie, et à la juste place de ma vie dans le récit, nous entrons justement dans une série de parashiot qui tournent toutes autour d'un même thème : la limite. La limite entre le pur tahor de l'impur tamei, entre le permis et l'interdit. De la cachecroute, en passant par les lépreux et le sang... Dans le livre du Lévitique, la Torah déploie un système clair, méthodique, presque ingénieux, pour s'assurer que chaque chose reste à sa place, sans confusion possible.
Ta vie, c'est ta vie.
Le récit, c'est le récit.
Et cette semaine j’ai lu un Dvar Torah qui, curieusement, résonne pas mal avec notre petite crise...
R : Un Dvar Torah par qui ?
J :
Un.e rabbin.e américaine dont l’angle d’étude tourne beaucoup autour de la question queer, la guérison et l’inclusivité. Iel écrit :On traduit souvent le terme tahor par « pur » et tamei par « impur », mais toute traduction est une trahison. Je préfère l’interprétation du rabbin Irwin Keller pour qui tahor signifie « un canal non-encombré, disponible spirituellement » ; tandis que tamei désigne l’état d’être « immergé dans le tumulte ».
Par exemple, après un accouchement, une personne devient tamei non pas parce qu’elle serait « sale » ou « impure », mais parce qu’elle est plongée dans l’intensité brute de la vie nouvelle. Elle est comme « dans le mélange », absorbée, et momentanément indisponible pour être un canal spirituel disponible.
La Torah établit donc des règles pour passer d’un état à un autre. Comment pouvons-nous passer de tamei à tahor ? D’impureté à pureté ? La question est tout autant valide pour les humain.e.s qu’elle est pour les objets qui, eux aussi, peuvent être chargés spirituellement.
Dans la Parasha Shemini, que nous lisions ce samedi 26 Avril 2025, apparaît la phrase suivante :
וְכֹ֣ל אֲשֶׁר־יִפֹּל־עָלָיו֩ מֵהֶ֨ם ׀ בְּמֹתָ֜ם יִטְמָ֗א מִכׇּל־כְּלִי־עֵץ֙ א֣וֹ בֶ֤גֶד אוֹ־עוֹר֙ א֣וֹ שָׂ֔ק כׇּל־כְּלִ֕י אֲשֶׁר־יֵעָשֶׂ֥ה מְלָאכָ֖ה בָּהֶ֑ם בַּמַּ֧יִם יוּבָ֛א וְטָמֵ֥א עַד־הָעֶ֖רֶב וְטָהֵֽר׃
וְכׇ֨ל־כְּלִי־חֶ֔רֶשׂ אֲשֶׁר־יִפֹּ֥ל מֵהֶ֖ם אֶל־תּוֹכ֑וֹ כֹּ֣ל אֲשֶׁ֧ר בְּתוֹכ֛וֹ יִטְמָ֖א וְאֹת֥וֹ תִשְׁבֹּֽרוּ׃
Tout objet sur lequel il en tomberait quelque chose après leur mort, deviendrait impur: soit ustensile de bois, soit vêtement, peau ou sac, tout objet destiné à un usage quelconque. II doit être passé dans l'eau, restera souillé jusqu'au soir, et alors deviendra pur.
Que s'il en tombe quelque chose dans l'intérieur d'un vase d'argile, tout son contenu sera souillé, et le vaisseau, vous le briserez.
(Lévitique 11 :32-33)
En bref, la règle est la suivante : pour les objets en métal et autres, ils peuvent être nettoyés, et purifiés … grâce à l’eau. Que ce soit pour une casserole ou pour les règles de la femme: pureté = temps + eau. Mais ce n’est pas le cas pour les objets en argile — pots, cruches, vaisselle en terre cuite. Une fois devenus tamei, l’eau ne suffit pas.
Il faut les briser.
J : Ça ne te fait penser à rien ?
R :
Référence à Ma Sortie d’Égypte
R : C’est parce que je suis la terre ?
J : Exactement, mon amour. Adama
continue et cite Le Maguid de Mezeritch, maître hassidique majeur, selon qui: “Un récipient de terre ne peut être réparé spirituellement que s’il est brisé. Il doit s’ouvrir de nouveau pour redevenir tahor, pour redevenir casher.”Elle poursuit, et demande: “Et nous, alors ? Ne sommes-nous pas insufflés d’argile ? Ne sommes-nous pas aussi des vases de terre ?”
R : Humus, Humain, Humanité ...
J : Peut-être que pour retrouver notre ouverture spirituelle, notre capacité à recevoir, pour redevenir des canaux disponibles, il nous faut parfois accepter d’être profondément brisés.
(Julia prenant maintenant un ton lyrique et chantant)
Laisser nos cœurs se fissurer Traverser la brisure pour renaître Un passage nécessaire Du chaos à la croissance Inconfortable et douloureux Au même endroit, au même moment Cohabitant Au final Là est notre choix
J : (Dodelinante de la tête avec un petit aire fière victorieuse du lien qu’elle vient de faire entre Sa vie et Le texte) Allez, avoue, c’est un lien parfait entre la Torah et l’épisode de la semaine dernière… Ne penses-tu pas que la cassure produite par mon retrait de la relation ainsi que par la publication de l’article, sans ta connaissance, est ce qui donne lieu à un lien encore plus fort, plus spirituellement ancré et solidifié entre nous ? Un tzimtzum relationnel en quelques sortes …
R : Mmmmh ouais mais... si je peux ajouter un truc, ça me fait penser à la tactique un peu tordue du Dieu des Juifves.
J : (levant un sourcil)
R : Dans ta parasha, Julia, Bechalah …
J : … Oui ?
R : Que fait la Divinité avec Pharaoh ?
וַיְחַזֵּק יְהֹוָה אֶת־לֵב פַּרְעֹה
J : (Il) endurcit son cœur.
R : C’est quoi ce petit jeu pervers, franchement ? T’es obligé de briser le cœur pour enseigner quelque chose ? Tu ne peux pas juste... faire grandir l’âme en douceur ? Obligé de casser pour apprendre ? Comme les Tables de la Loi, fracassées par Moïse, après que le Peuple, à genoux devant un veau en or, ait brisé son cœur.
C’est de nouveau, pour moi, trouver des explications nobles à un endroit du texte qui ne l’est pas. Je ne crois pas que pour développer un beau Jardin, il faille constamment abimer les racines.
J (Mine boudeuse) : Dommage, je trouvais vraiment mon parallèle super beau.
R (Il sourit) : TROP beau… Il faut y rajouter un peu de dissonance.
Ils rigolent tous les deux.
R : En revanche je pense que c’est tout à fait pertinent à la question de l’éducation. Les enfants, naturellement, veulent ce qui peut les détruire. L’adulte est là pour pouvoir mettre des limites, pour casser la pulsion destructrice, sans pour autant casser l’esprit de l’enfant.
J : D’accord, j’adore ce que tu dis et je pense que nous continuous toustes à apprendre et guérir l’enfant intérieur qui est en nous, fine, mais tu ne m’aides pas vraiment à clôturer mon article.
R : Je ne sais pas … D’un côté, c’est vrai que notre relation est renforcée de cet épisode. On a traversé les épreuves. On a tenu. On a passé les tests. Mais... jusqu’où peut-on pousser cette logique ? Tester, casser, tester encore, casser encore, pour rendre l’humain.e meilleur.e ? Dans la loi juive, c’est un peu ça : briser pour enseigner, briser pour s’élever.
J (rigolant) : Nous avons eu une semaine de Pessah très, très juive !
R : … peut-être que c’est le grec en moi qui parle. Qui se révolte. Nous pouvons ressortir plus forts de certaines épreuves, mais revenons à la femme de Karl Ove Knausgård … certain.e.s peuvent tout autant se briser pour de bon.
J : Eh bien, sache que mes lecteurices sont du genre solides
R : Je n’en ai aucun doute
(à cet instant un bon samaritain klaxonne pour leurs indiquer que le clignotant gauche défectueux de de la Honda Jazz ne cesse de signaler et qu’il faudrait l’éteindre. Regev lui fait un signe en langage de sourd et muet qui veut dire un truc du genre “Ouais mec on sait, c’est cassé mais merci de nous prévenir quand même”.
Quelques secondes passent.)
SCÈNE III
R : D’ailleurs, rappelle-moi, pourquoi on brise un verre lors de la cérémonie de mariage ?
J : (le regardant avec un air mi-moqueur mi-envoutée) On est vite passé de “je ne suis pas prête à m’engager avec toi” à “que signifie briser un verre le jour du mariage” ? Ça fera un super titre d’article.
R : “On Breaking the Glass. Une histoire de limite, de réparation et de mariage”
J : Il y’a beaucoup d’interprétations différentes. Ici, ça dit que le verre brisé symbolise la fragilité de nos relations et nous rappelle que nous devons les traiter avec un soin particulier.
R : Exactement (comme il aurait pu tout aussi bien s’exclamer: “Eurêka !”). Briser, pour ne pas oublier qu’il y a toujours quelque chose à réparer.
J (les yeux brillants) : Pour nous rappeler que personne n’est parfait. Que nous sommes, tous les deux, faits de plein d’incohérences et d’endroits faillis.
R : Ne pas casser pour rendre plus fort…
J : …Mais pour entretenir le lien.
Ils se sourirent
(Jingle d’une émission de radio avec musique lounge un peu kitsch dans le fond qui sort de la vieille Honda Jazz)
Merci à vous, lecteurices de la Newsletter Le18 pour votre fidélité, pour vos messages d’amour et d’avoir accompagné nos deux protagonistes dans ces horribles embouteillages de fin de journée. Dans notre prochain épisode nous tenterons de répondre à la question suivante: pourquoi les gens décident d’envisager la liberté qui leur est donnée ainsi, à l'arrêt ? En attendant, n’hésitez pas à devenir, vous aussi, un bon samaritain numérique: supportez la cause de la mise à nu, du chaos interne, d'une écriture sans format clair mais en constante évolution. Comme nous le sommes un peu toustes. N’hésitez pas à les soutenir en laissant un petit commentaire dans la rubrique “commentaire”, un petit cœur qui veut dire “petit cœur”, ou en envoyant un retour aussi mignon que constructif.
A chacun son tikkun!
(clic d’extinction de la vieille radio dans la Honda Jazz)
FIN
J: (en le taquinant) Amour… peut-être que mes lecteurices vont penser que t’as grave sur-réagi avec ton histoire ?
R: Ou peut-être... que tu vas doubler ton nombre d'abonnés payants. (clin d’œil)
Merci pour votre lecture 🙏
N’hésitez pas à partager vos impressions et ressentis par email julia.cincinatis@gmail.com ou de partager cette lettre avec des amie.s susceptibles d’apprécier la démarche.
Brillant! Et le Gushpanka de la fin avec le verre 🥳💪 trop forts les amis!
אני אוהבת אותך 🩷