(Esther 3:13) Des messagers furent chargés de porter ces lettres dans chaque province du royaume. Elles donnaient l’ordre de détruire, de tuer, de massacrer tous les Juifs, jeunes et vieux, femmes et enfants, et de piller leurs biens. Cette extermination devait être réalisée en un jour précis, le treizième jour du douzième mois, le mois nommé Adar.
(Esther 9:5) Les juifs traitèrent comme il leur plut ceux qui les détestaient, ils mirent à mort leurs ennemis ; ce fut une tuerie et un massacre. (Esther 9:16) Les juifs qui vivaient dans les autres parties du royaume se rassemblèrent également pour défendre leur vie. Ils se débarrassèrent de leurs ennemis en tuant 75,000 de ceux qui les détestaient, mais ils ne pillèrent pas leurs biens. Cela se passa le treizième jour du mois nomme Adar. Le quatorzième jour, ils prirent du repos et firent la fête joyeusement.
(Deutéronome 25 :17-19) Souviens-toi de ce qu’Amalek t’a fait, lorsque vous étiez en route, après la sortie d’Egypte. Ils n’avaient aucune crainte de Dieu, si bien qu’ils t’ont attendu le long du chemin, alors que tu étais à l’arrière complètement épuisé. Ils ont attaqué les retardataires à l’arrière. Dès que le Seigneur ton Dieu t’aura installé à l’abri de tous les ennemis qui t’entourent, dans le pays qu’il te donne en héritage, tu effaceras tout souvenir d’Amalek sur la terre. N’oublie pas !
(Samuel 2:15) Ainsi a dit Hachem, Maitre des Légions : “Je me suis souvenue de ce qu’a fait Amalek à Israël, de l’embuscade qu’il a dressée contre lui en chemin, tandis qu’il remontait d’Egypte. A présent, va et frappe Amalek et détruisez tout ce qu’il possède ! N’aie pas de pitié de lui ; tue homme et femme, enfant et nourrisson, bœuf et brebis, chameau et âne. ”
(Samuel 15:32-33) Ensuite Samuel ordonna qu’on lui amène Agag, le roi des Amalécites. Celui-ci arriva, plein d’assurance, car il pensait : « Je n’ai certainement plus à craindre la mort ! ». Mais Samuel lui dit : « Par ton épée, des femmes ont été privées de leurs enfants. Eh bien, ta mère aussi sera privée de son enfant. » Et Samuel l’exécuta devant le sanctuaire à Guilgal.
(Tahar Ben Jelloun, LePoint 13 Octobre 2023) Cette tragédie, nous la porterons dans notre mémoire comme une blessure faite à toute l’humanité. Une Blessure, jamais fermée, jamais oubliée.
(Magazine Maguen Adom, entendu à la télévision israélienne) A partir du moment où le nombre de victimes palestiniennes dépassera le nombre de victimes juives, l’agressé deviendra l’agresseur, la victime deviendra le bourreau.
Les cinq premiers passages ont été lus ce week-end à la synagogue. L’article pourrait finir ici tant je les crois explicites ; pas besoin de trois ans à la yeshiva pour comprendre le caractère profondément répétitif de ce cycle infernal de violence.
Fondée sur le livre d’Esther, Pourim raconte l’histoire d’une merveilleuse reine courageuse, Esther, qui sauve le peuple juif d’un terrible complot organisé par Haman, le diabolique premier ministre du roi Assuérus. En tous cas, c’est comme ça qu’on me l’a vendu quand j’étais petite. Pourim a toujours été ma fête juive favorite : loin de la solennité et de la densité de fêtes comme Kippour ou Pessah, il est coutume de se déguiser, de manger des beignets fris et pour les adultes de célébrer et de s’enivrer jusqu’à ne plus pouvoir reconnaître le gentil du méchant.
What’s not to be liked ?
Est-ce que j’essayais déjà de dénoncer le mariage comme une grande masquarade ou suis-je déguisée en sage du Beth Din ?
Pourtant, relire l’histoire d’Esther avec mes yeux d’adulte en 2024 est une expérience entièrement différente. Comment puis-je continuer à honorer mon héritage culturel alors même que nous regardons sur nos écrans les israéliens rejouer des fantasmes de vengeance dans la vraie vie - tout en sachant que des familles retiennent leur souffle car leurs aimé.e.s sont toujours retenus en otage ?
Peut-être qu’il est venu le temps d’arrêter de se voiler la face.
Le Masque, Marcel Marceau, 1975
Et c’est plutôt opportun car Pourim est justement la fête du voilement et du dévoilement. Le prénom Esther (אֶסְתֵּר) après tout, vient du mot לְהַסְתִּיר qui veut dire cacher. Sous la recommandation de son oncle, l’héroïne de cette histoire ne fait pas connaitre ni son origine, ni son identité en arrivant au palais jusqu’à ce qu’elle n’ait plus le choix. La coutume du costume est arrivée assez tardivement dans l’histoire et plusieurs raisons sont avancées pour expliquer ce mardi gras à la juive. La raison principale serait le fait que le nom de Dieu n’apparaisse pas une fois dans toute la Meguila d’Esther, si ce n’est par allusions. On se déguise donc pour se rappeler la disparition de Dieu. La dissimulation ou l'absence apparente de Dieu est une caractéristique de ce que la théologie kabbalistique appelle le Tsimtsoum, cette énorme contraction, ce vide fertile, le retrait originel de Dieu lors de la création du monde pour faire place à l'altérité. Le tsimtsoum qui donne lieu à une puissante brisure (chevirat haKelim), nous permettrait d’éternellement rechercher et désirer Dieu, de cultiver notre propre indépendance d'esprit. Plus important encore, cela nous permettrait de devenir des partenaires de la création, plutôt que de simples bénéficiaires. C’est pourquoi nous passons notre vie, à exercer le Tikkun Olam, cette idée fondamentale dans la pensée juive, de réparation. Que ce soit à l'échelle individuelle ou collective, le Tikkun exprime la conviction que les êtres humains ont une responsabilité spirituelle et morale de contribuer à la rectification du monde et à l'amélioration de soi.
La Torah n’a pas seulement été donnée au Mont Sinaï, nous rappelait Eric Ackerman samedi, elle a été véritablement acceptée rétrospectivement au temps de l’histoire d’Esther - cette fois ci sans contrainte. Si nous la voulons vivante, la Torah doit continuer à être transmise encore et encore. J’ai donc voulu repenser et réimaginer un dialogue entre Haman et Esther, à un moment où chacun d’eux aurait fait tomber son masque.
Écrire pour réinstaller un récit premier, second..., écrire pour déposer, recréer la scène sur une surface d'inscription afin de s'en détacher, écrire pour ainsi remobiliser - faire jeu avec - les représentations figées par l'effroi. (…) Et l'on pourrait dire que nous écrivons tous sur de petits traumas oubliés, recouverts, des lieux où s'est déchirée l'enveloppe langagière qui nous protège.
Comme des rêveurs, à la distance fictionnelle qui nous correspond, nous réinventons un monde, dans les parages de notre blessure, nous cherchons à nous guérir.
(François Emmanuel, Guérir par l’écriture ?)
Pour faire écho à François Emmanuel, voici ce que, dans mes rêves les plus fous, la reine Esther aurait pu dire:
« Pourquoi toute cette haine, Haman ? Pourquoi cet acharnement à vouloir détruite tout un peuple ? Qu’est-ce que tu as contre les Juifves ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que ça veut dire être Juifve ? C’est par ta haine que je me pose la question pour la première fois, ce soir. J’ai perdu mes deux parents quand j’étais nourrisson et ai été éduquée pas mon oncle qui allait étudier tous les jours. Mais mon rapport à la foi et la religion n’avait jamais été entièrement incarné avant que tu n’ordonnes ce décret. Dorénavant, ta haine me définit et m’enferme. Je voulais vivre et je dois maintenant survivre. Mais je ne veux plus vivre cachée, je ne veux pas avoir peur, je veux pouvoir vivre en tant que juive parmis mes voisins de toute confession et de tout ethnicité, en paix. « Tuer nos ennemis », c’est ce qu’ils me conseillent tous de faire, ils me disent que c’est ça l’art de la guerre, qu’il faut se défendre à tout prix, œil pour œil dent pour dent, ‘les tuer tous comme ça on pourra vivre enfin en paix’. Ils ne m’avaient pas dit que le deuil, la douleur s’ancrent dans les cœurs et deviennent l’essence de la haine, son carburant. Ils ne m’avaient pas dit que les enfants de tes enfants et tes petits enfants et les arrière arrière arrière petits-enfants de ces petits-enfants continueraient chaque année de commémorer le massacre commis à l’égard des leurs. Ils ne m’avaient pas dit que dans 2000 ans, ils en seraient encore à jouer le même jeu. Je n’aurais pas pu savoir. Je suis désolée. J’ai merdé. »
Le cris des sangs de ton frère s'élève, jusqu'à moi, de la terre !
Genèse 4 :10
Et Haman lui aurait répondu :
« Oui, je te comprends maintenant Esther, la haine ancrée dans le cœur je la connais si bien. C’est l’histoire de mon aïeul Amalek et de son aïeule à lui, une femme nommée Timna. Timna rêvait de devenir juive et d’appartenir au peuple mais Abraham, Isaac et Jacob auraient refuser sa conversion. Je crois que quelque part ce rejet - et la défaite qui s’en suivit - hanta Amalek jusqu’à sa mort. Quand j’ai vu que c’était toi que le roi Assuérus avait choisi comme reine, c’est venu réveiller en moi une blessure tellement profonde, quasi karmique, que je ne me connaissais pas. J’ai soudainement ressenti le besoin de rester fidèle aux combats de ceux qui étaient morts avant moi. C’est devenu ma raison de vivre, ma raison d’être. Parader ton oncle Mordehaï dans toute la ville sur un cheval n’a fait qu’ajouter de la honte à ma blessure. De l’huile sur le feu. Apres ça, il fallait que j’aille jusqu’au bout, une bonne fois pour toute, il en venait de ma dignité aux yeux de tous. J’ai merdé avec ce décret, je suis désolé. Ce n’était pas juste de condamner des milliers de vies pour venger ma lignée. Quand j’ai dit au roi que votre peuple était disséminé et répandu parmi les autres nations, je voulais dire que j’admire votre capacité d’adaptation, d’apprentissage et de résilience. Quelle force que de garder vos rites et vos traditions peu importe les conquêtes, les inventions et les révolutions de nos siècles. Vous tenez! C’est admirable et j’aurais bien aimé appartenir à pareille famille. »
Alors ils se regardèrent, comme pour la première fois. Dénudés. Ils étaient comme ces deux enfants qu’on n’avait pas encore chargé du poids du passé. Ils se regardèrent un long moment et se serrèrent dans les bras.
Dieu se retire pour faire entrer l’Autre, l’Autre en nous. A Pourim c’est une mitsva de boire jusqu’à ne plus pouvoir faire la différence entre Haman et Mordehaï. Après tout, il y’a du Haman dans Mordehaï et du Mordehaï dans Haman … Tous deux capables de grande cruauté et de grande humanité aussi.
Je vous souhaite un Pourim qui fasse sens. Que nos fêtes continent d’être des moteurs de lien, des rappels puissants de conjuger avec l’autre. C’est la seule manière de réparer.
Tikkun Olam.
Hag Sameah & Ramadan Kareem!
Je dédie cet article à Djalo, un musulman de Guinée Conakry, qui une nuit, alors que j’étais seule et en danger, m’a sauvé la vie.
Merci pour votre lecture 💖
Derrière tous ces mots, tous ces maux, c’est de moi que je parle. C’est un exercice redoutable et de longue haleine. Merci de rester avec moi jusqu’au bout. J’espère que certains passages auront résonné en vous. N’hésitez pas à partager vos impressions et ressentis par email julia.cincinatis@gmail.com ou de partager cette lettre avec des amie.s susceptibles d’apprécier la démarche.
A tout vite.
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Chère julia je lis tes mots qui à nouveau me touchent et m’inspirent confiance dans l’avenir. Tu vois j’étais aujourd’hui dans une base militaire du Golan à la frontière avec la Syrie. Avec un groupe d’amis on a régalé une 100 aine de jeunes et moins jeunes soldats d’un magnifique bbq après une lecture de la meguila tous ensemble. Leur joie était réelle, leur gratitude profonde mais rien à voir avec la notre. Certains ont perdus des amis au combat ou ont vécu des moments d’effroi et nous juifs d’Europe qui sommes submergés par la haine et l’incompréhension de nos concitoyens .. ce qui nous rassemblaient là sur ce plateau du Golan c’était une union indéfectible, une joie immense d’être ensemble. À aucun moment de la journée une parole de haine ou vengeance n’est sortie de nos bouches, il n’y avait que des remerciements et des sourires. J’ai l’espoir qu’en face, des hommes et des femmes n’aspireront qu’à voir tous leurs jeunes hommes armés, rentrer à la maison et vivre en paix avec leur voisins.